Innovation et Moralité : Les deux visages de la curiosité

« Le commencement de toutes les sciences, c’est l’étonnement de ce que les choses sont ce qu’elles sont. »

À travers cette citation, Aristote stipule clairement que la curiosité est le moteur de la connaissance scientifique. L’étonnement face aux phénomènes naturels pousse l’homme à chercher des explications rationnelles, conduisant ainsi au développement des sciences. Cette vision valorise la curiosité comme une vertu intellectuelle, essentielle à la quête de la vérité et à l’amélioration de la compréhension humaine.

Un constat que nombre de contemporains et d’intemporels trouvent logique et cohérent.

Toutefois – et c’est toute la beauté de la philosophie et de la capacité de la pensée humaine à pouvoir se réinventer et prendre des chemins insoupçonnés – Jean Jacques Rousseau vient s’opposer frontalement à cela, Il indique :

« L’astronomie est née de la superstition; l’éloquence de l’ambition, de la haine, de la flatterie, du mensonge; la géométrie de l’avarice; la physique d’une vaine curiosité; toutes et la morale même, de l’orgueil humain »

À travers sa citation, on constate que Rousseau voit dans la curiosité une forme de vice. Il soutient que les sciences et les arts ne naissent pas d’une quête désintéressée de la vérité, mais de motivations égoïstes et corrompues. Selon lui, la curiosité intellectuelle est vaine et détourne l’homme de préoccupations morales plus nobles.

Rousseau critique ainsi l’idée que le progrès scientifique et artistique rende l’humanité plus heureuse ou plus vertueuse, affirmant au contraire qu’il contribue à la dégradation morale.

Pour lui, l’art est nourri par le désire de luxe, le droit existe grâce aux injustices, et l’histoire est si riche, grâce aux malheurs collectifs.

Il soutient que ces disciplines prospèrent non pas pour le bien de l’humanité, mais en réponse à ses faiblesses et à ses vices.

Mandeville affirme que les vices individuels, tels que l’avidité et l’égoïsme, peuvent paradoxalement contribuer à la prospérité et au bien-être de la société. En revanche, Rousseau soutient que ces vices corrompent l’âme humaine et détournent l’homme de ses vertus naturelles.

De plus, il soutient que l’astronomie est née de la superstition (on peut penser à l’astrologie), et selon lui, la poursuite des sciences et des arts détourne l’homme de ses qualités morales naturelles, telles que la sincérité, l’humilité et l’indépendance : ces disciplines poussent l’homme à se comparer et engendrent des vices comme l’orgueil, l’hypocrisie et l’individualisme, en somme: les savants et les artistes sont mus par la vanité et l’amour-propre, cherchant à se distinguer et à être admirés plutôt qu’à servir le bien commun.

Voilà qui donne matière à nuance et à réflexion, (et permet de dire Lyes 1 – Maman 0) !

En dépit de cela, quelque soit l’origine de la connaissance : une curiosité vertueuse, ou une curiosité vicieuse, il est indéniable que l’une ou l’autre peuvent conduire à des réalisations scientifiques et artistiques utiles à l’humanité, un clin d’œil à la fameuse fable des abeilles de Mandeville, où « les vices privés font le bien public ».

Symphonie de la pensée à travers les temps

Lorsqu’on constante un jardin , il est aisé de remarquer que toutes les fleurs ne sont pas exposées équitablement à la lumière, de la même manière et même si cela n’est pas perceptible à l’œil nu, il se pourrait que toutes les fleurs ne bénéficient pas équitablement des nutriments et des soins de la terre.

Ainsi, nous aurions des éléments de réponses si on posait la question « Pourquoi certaines fleurs brillent-elles plus que d’autres ? ».

Depuis des siècles, cette question appliquée au potentiel humain divise les penseurs, façonne les cultures et définit silencieusement ceux que nous célébrons comme «exceptionnels».

Je verrai désormais différemment ces belles fleurs!

L’histoire de ce dialogue se déroule en 4 temps :

1) 1869 : Le jardin héréditaire

Francis Galton (scientifique britannique) plante la première graine scientifique avec son livre « Hereditary Genius ». En étudiant les lignées de personnalités brillantes : juges, musiciens, etc… il affirme que la grandeur naît de trois racines :

  • Une capacité innée (génétique, don de la nature)
  • La passion (concentration intense)
  • L’aptitude au labeur (effort incessant)

Pourtant, sa théorie avait des failles. En se focalisant sur l’hérédité, Galton ignore les critères sociétaux : richesse, éducation, privilèges…

Son cousin, Charles Darwin, salue l’œuvre, mais en questionne le cœur :

« J’ai toujours soutenu que… les hommes ne différaient guère par l’intellect, seulement par la passion et le travail acharné. »

Le scepticisme de Darwin révèle une vérité plus profonde : même les graines les plus robustes ont besoin de plus que de terre et de soleil pour s’épanouir.

2) 1890 : Le verger inexploité

Quelques années plus tard, William James (psychologue et philosophe américain), apporte une vision différente dans son livre « The Principles of Psychology », il brise le mythe de capacité innée en soulignant que ce potentiel est latent chez tous les êtres humains, mais très peu l’exploitent véritablement, sa pensée est résumée ainsi :

« Les hommes à travers le monde possèdent des ressources que seuls des individus exceptionnels poussent à leurs limites extrêmes. »

Toutefois, la vision de James comporte des angles morts. Pousser ses capacités à l’extrême est donné à tout le monde, ou y’a-t-il des conditions préalables et imperceptibles qui font que certains y arrivent et d’autres pas ?

3) 2013 : Le mirage du « naturel »

Arrivée au 21e siècle, l’enseignante et chercheuse américaine Chia-Jung Tsay mène des expériences qui aboutissent à un paradoxe : La société prétend valoriser l’effort, mais préfère les «naturels».

En effet, en faisant écouter le même morceau de piano (joué par le même pianiste) à des groupes de personnes, et en indiquant que : le pianiste est né avec un talent inné ou que le pianiste a travaillé dur pour en arriver là, ses études révèlent que :

Des performances musicales identiques sont mieux notées si attribuées à un « talent inné » plutôt qu’à un « travail acharné »

Ce biais, détectable chez les enfants dès cinq ans, persiste mondialement (à des degrés divers selon les cultures).

4) 2024 : L’émergence d’un nouveau paradigme

Les recherches d’Angela Duckworth montrent que la persévérance, la niaque le «grit» prédit mieux le succès que le QI. Mais cette persévérance dépend elle-même de :

  • Facteurs environnementaux : Quartiers sûrs, mentors, stabilité financière.
  • État d’esprit de croissance : Croire en des capacités malléables booste les résultats.

Retour au jardin :

Alors, pourquoi certaines fleurs brillent-elles plus que d’autres ?

A l’aune de dialogue en 4 temps, on voit que la réponse ne réside clairement pas dans des dichotomies (nature VS culture), mais dans leur interaction :

  • Les graines comptent, mais aussi la main du jardinier !
  • L’exposition à la lumière n’est pas juste ; il faut construire des serres pour les fleurs situées dans l’ombre.

Peindre l’évolution du travail

« Travaillez, prenez de la peine : c’est le fonds qui manque le moins »

Cette phrase célèbre provient de la fable « Le Laboureur et ses Enfants » de Jean de La Fontaine, qui tient son inspiration de la fable d’Ésope datant d’environ 620 av. J.-C.

Dans le contexte de la fable datant de 1668, un père mourant utilise cette sagesse pour inciter ses enfants à travailler dur, en leur faisant croire qu’un trésor est caché dans leur champ. Les enfants, en labourant le champ à la recherche du trésor, finissent par augmenter sa productivité, découvrant ainsi que le véritable trésor est le fruit de leur travail.

Cette phrase est devenue un proverbe populaire, souvent cité pour encourager l’effort et la persévérance dans le travail.

Mais comment ce travail – et surtout sa perception – ont évolué depuis cette époque ?

Deux artistes qui, sans le savoir, allaient peindre l’histoire du travail à travers les âges et répondre à la question.

Le premier est un tableau de Bruegel décrivant une scène rurale typique du 16e siècle, une vision réaliste mais respectueuse du labeur paysan. Le travail est montré comme difficile mais noble, intégré harmonieusement dans la nature et la communauté.

Quelques siècles plus tard, en 1997, Tunbjörk avec son tableau « Agents de change » offre un contraste saisissant : Un travail dans un environnement artificiel, sans fenêtres ni lumière naturelle, avec des visages tendus, reflétant le stress et la pression, incarnés par des agents entassés dans un espace de bureau exigu.

L’art, à travers son exagération volontaire, permet de mettre en lumière les aspects les plus profonds et souvent invisibles de notre réalité quotidienne, nous invitant à une réflexion critique sur notre monde et notre place en son sein.

Entre ces deux tableaux, c’est toute l’histoire de notre relation au travail qui se déroule. Nous avons quitté les champs ouverts pour nous enfermer dans des tours de verre et d’acier. Le rythme des saisons a cédé la place au tic-tac implacable des horloges numériques. La communauté s’est fragmentée en une multitude d’individus, chacun rivé à sa tâche spécifique.

Pourtant, malgré ces changements radicaux, quelque chose persiste : la quête de sens dans notre labeur quotidien. Les paysans de Bruegel trouvaient leur raison d’être dans la récolte qui nourrirait leur village. Les agents de change de Tunbjörk, eux, cherchent peut-être leur place dans un monde où la valeur se mesure en chiffres sur un écran.

Dans les deux cas, la sagesse de Jean de La Fontaine demeure, notre histoire loin de s’arrêter, continue de s’écrire encore. On peut simplement être curieux et se demander ce que nous réserve l’avenir ?