L’aporie de la flûte de Sen

Amartya Sen, un économiste indien et lauréat du Nobel d’économie en 1998. Ce dernier a proposé l’exemple de l’aporie de la flûte dans son ouvrage « L’Idée de Justice » paru en 2009.

Pour rappel, une aporie est une difficulté logique insoluble (tandis qu’un paradoxe peut souvent être résolu ou expliqué).

Ainsi, l’aporie de la flûte se présente ainsi :

Trois enfants – Bob, Anne et Carla – se disputent une flûte. Chacun a un argument valable pour la réclamer :

  • 1. Bob est le seul à savoir en jouer.
  • 2. Anne est la plus pauvre et n’a aucun jouet.
  • 3. Carla a fabriqué la flûte de ses propres mains.

Sen utilise cet exemple pour montrer que chaque enfant défend un raisonnement convaincant, et que la décision à prendre n’est pas simple lorsqu’on connaît ces trois arguments concurrents.

En effet, en utilisant cet exemple Sen illustre trois approches principales de la justice :

L’utilitarisme: qui pourrait favoriser Bob, car il tirerait le plus grand plaisir de la flûte.
L’égalitarisme: qui pourrait pencher pour Anne, afin de réduire les inégalités économiques.
Le libertarianisme: qui pourrait soutenir Carla, respectant ainsi le droit de propriété sur le fruit de son travail.

Difficile de trancher !

L’objectif de Sen est de démontrer qu’il n’existe pas de solution unique et universellement acceptée pour résoudre ce type de dilemme.


Il souligne ainsi la pluralité des conceptions de la justice et l’importance du débat public éclairé.
L’impact de cette réflexion est considérable dans le domaine de la philosophie politique et de l’économie du bien-être. Elle invite à :

1. Reconnaître la complexité des questions de justice sociale.
2. Considérer différentes perspectives lors de la prise de décisions politiques et économiques.
3. Favoriser le débat public et la délibération pour aborder les questions de justice.

Dans nos quotidiens, différentes situations (politiques de redistribution, politiques d’éducation..) reflètent la tension entre différentes conceptions de la justice, tout comme l’exemple de la flûte de Sen.


Elles soulignent l’importance d’une approche nuancée et d’un débat ouvert dans la prise de décisions politiques et sociales, mais surtout, que souvent il n’y a pas de « bonne réponse », seulement de « moins mauvaise réponse ».

La révolution Kantienne

« Comment pouvons-nous connaître quelque chose avec certitude ? »

C’est à cette question que cherche à répondre Kant pendant plusieurs années et le fait finalement dans son ouvrage « Critique de la raison pure ».

Pour rappel :

  • Les empiristes, comme Hume, affirment que toute connaissance vient de l’expérience.
  • Les rationalistes, comme Leibniz, soutiennent que la raison pure peut atteindre la vérité.

En comprenant que ces deux approches sont insuffisantes, Kant vient avec une solution aussi audacieuse qu’élégante : au lieu de se demander comment notre connaissance peut correspondre aux objets, il inverse la question : Et si les objets devaient se conformer à notre manière de connaître ?

C’est ce qu’il appellera lui-même sa « Révolution Copernicienne » en philosophie, par analogie avec l’astronome (Nicolas Copernic) qui avait placé le soleil, et non la terre, au centre du système : plus tard, on parlera de « Révolution Kantienne ».

De plus, Kant a introduit le concept des « jugements synthétiques a priori« , qui sont des connaissances universelles et nécessaires, indépendantes de l’expérience, mais qui ajoutent néanmoins quelque chose à notre compréhension du monde. Cela a permis de réconcilier les approches rationalistes et empiristes de la connaissance

Ainsi, en affirmant que toute connaissance nécessite à la fois des intuitions sensibles et des concepts rationnels, Kant a créé une synthèse entre les traditions rationaliste et empiriste.

Kant défini aussi les limites de la connaissance humaine, soulignant que notre compréhension est limitée aux phénomènes (ce qui relève de la science) et ne peut pas atteindre les noumènes (ce qui relève de la croyance) : Son idée présente de forts parallèles avec les concepts de voile d’Isis et de Maya.

En somme, la Révolution Kantienne a transformé notre compréhension du rôle du sujet dans le processus de connaissance, établissant une nouvelle approche critique qui continue d’influencer la philosophie contemporaine.

Le voile de Maya et l’illusion du monde physique

« C’est la Māyā, le voile de l’illusion, qui recouvre les yeux des mortels, leur fait voir un monde dont on ne peut dire s’il est ou s’il n’est pas, un monde qui ressemble au rêve, au rayonnement du soleil sur le sable, où de loin le voyageur croit apercevoir une nappe d’eau, ou bien encore à une corde jetée par terre qu’il prend pour un serpent.»

Par ces mots, Arthur Schopenhauer utilise le concept de voile de Māyā – qui provient des traditions philosophiques indiennes – pour illustrer que ce que nous considérons comme réalité, notre monde physique, n’est en réalité qu’une illusion.

En effet, le voile de Maya, désigne l’illusion ou le voile qui masque la véritable nature de la réalité. Selon cette philosophie, ce que nous percevons comme réalité matérielle n’est qu’une illusion temporaire, une manifestation éphémère qui cache la vérité éternelle et immuable : l’absolu cosmique.

Illustration du concept de Maya : L’impression d’un monde aquatique que donne le croquis n’est en réalité pas ce qu’elle semble être (Peinture de M.C. Escher).

Le but devient alors de « percer le voile » afin d’apercevoir la vérité transcendante, d’où s’écoule l’illusion d’une réalité physique, surmonter cette illusion est essentiel pour atteindre un éveil et réaliser que l’on fait partie intégrante d’un tout qui nous dépasse et va au delà du monde physique.

Ainsi, la compréhension et la transcendance de Māyā sont considérées comme des étapes cruciales vers la libération spirituelle, permettant aux individus de voir au-delà des apparences superficielles pour accéder à une vérité plus profonde.

Le concept du voile de Maya semble avoir émergé dans les traditions philosophiques indiennes bien avant que le voile d’Isis ne devienne un motif populaire dans le monde gréco-romain. Cependant, les deux concepts partagent une thématique commune : ils interrogent notre perception de la réalité et notre quête pour comprendre ce qui se cache derrière les apparences :

AspectVoile de MayaVoile d’Isis
OriginePhilosophie indienne Égypte antique
SignificationIllusion du monde matérielInaccessibilité des secrets naturels
ImpactIllusion à transcender pour atteindre l’éveilMystère à explorer pour progresser en connaissance