Essentialisme VS Existentialisme

Sommes-nous définis par ce que nous sommes ou par ce que nous faisons ?

Voilà une question bien difficile, la question de l’identité humaine, pourtant la plus ancienne maxime Delphique « Connais-toi toi-même » vient insister que la connaissance des choses passe par une connaissance préalable de soi, mais comment faire ?

Plusieurs théories et approches ont essayé de répondre à cette question, parmi elles, deux perspectives émergent : l’une où l’essence précède et définit l’existence c’est l’essentialisme, et l’autre où l’existence précède, laissant à l’individu la liberté et la responsabilité de se construire, c’est l’existentialisme.

L’essentialisme postule que l’identité d’un individu est inscrite dans une essence fixe, immuable, qui préexiste à son existence. En d’autres termes, tout ce que nous sommes et devenons est déjà inscrit en nous dès notre naissance.

À l’inverse, l’existentialisme, incarné notamment par les pensées de Jean-Paul Sartre, soutient que nous existons d’abord sans essence définie et que c’est par nos choix et nos actes que nous nous définissons : « l’existence précède l’essence ».

  • Avec un essentialisme absolu, vivre se réduit à accomplir son essence : à devenir qui nous sommes, qui nous avons toujours été. Mais cette vision soulève aussi des questions sur la liberté humaine : si tout est déjà écrit, où se situe notre libre arbitre ?
  • Avec un existentialisme absolu, vivre se réduit à créer sa propre essence : à jouir d’une liberté absolue associée à une responsabilité écrasante. Mais nous sommes seuls responsables de nos échecs, sans excuses pour justifier nos erreurs.

Autant dire que les 2 visions peuvent être jugées cruelles et difficiles !

La force de l’essentialisme réside dans le fait que certains talents ou qualités sont innés et immuables. Il reconnaît l’existence d’un potentiel qui ne demande qu’à être actualisé. Une essence prédéterminée peut fournir un sentiment de direction et de sens : en sachant ce que l’on est, il devient plus facile d’accepter son rôle et d’agir en conséquence. Cependant, même dans ce cadre, l’effort et la volonté sont essentiels pour réaliser ce potentiel. Posséder une essence n’est pas suffisant ! Encore faut-il la maîtriser et l’utiliser.

De son côté, l’existentialisme met en avant la liberté humaine, mais aussi et surtout – le courage nécessaire – pour embrasser cette liberté. Être « condamné à être libre », comme l’écrit Sartre, signifie que nous avons toujours la possibilité de changer de cap, de redéfinir notre trajectoire. Dans ce paradigme, nos échecs ne sont pas des fatalités ; ils sont des tremplins pour créer une identité plus cohérente avec nos choix et nos aspirations.

Ainsi, Sartre avance que « l’important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous ». Cela souligne l’idée que notre essence n’est pas donnée à la naissance, mais se construit à travers nos actions et décisions.

Une vie épanouie serait un équilibre entre ce que nous sommes et ce que nous faisons ?

Au fond, ni l’essentialisme ni l’existentialisme ne sont des réponses définitives. Ils sont des outils pour interpréter des choix, des échecs et des succès, mais surtout, nous faire réfléchir et nous sentir tout petits !
Et pour cause, Il existe d’autres approches, comme le constructivisme (l’identité est construite à travers nos interactions sociales et notre environnement culturel) ou encore la théorie de l’identité narrative (l’identité se forme à travers les histoires que nous racontons sur nous-mêmes) et bien d’autres encore…

La prison invisible de Chase

« Le territoire n’est pas la carte »

Posons nous une question simple : Que se passerait-il si une grande partie de nos pensées, que nous croyons profondes et personnelles, étaient en réalité dictées par un élément extérieur ? Et si ce n’étaient pas notre personnalité, notre héritage et notre volonté, mais les mots qui modèlent nos croyances et nos actions ?

C’est l’idée audacieuse que Stuart Chase développe dans son ouvrage « The Tyranny of Words », publié en 1938.

Dans cet ouvrage, il décrit le langage comme une cage invisible qui emprisonne notre pensée.

Mais… Pourquoi le langage serait une cage ?

Le langage structure notre manière de percevoir le monde, mais selon Chase, il peut également nous manipuler et nous enfermer dans des illusions. L’idée centrale de son argument repose sur le fait que les mots ne sont que des symboles, des étiquettes que nous apposons sur des concepts ou des objets, sans qu’ils ne reflètent pleinement ces concepts et donc fidèlement la réalité.

Inspiré par les travaux du philosophe et scientifique Alfred Korzybski, Chase s’appuie sur la célèbre phrase : « Le territoire n’est pas la carte ». Cela signifie que les mots ne sont pas les choses qu’ils décrivent, mais seulement des représentations imparfaites. En confondant la carte et le territoire, nous risquons de prendre ces symboles pour des réalités absolues, ce qui nous conduit à des malentendus et des manipulations.

Pour appuyer sa thèse, Chase utilise plusieurs exemples et arguments :

  • L’abstraction comme tyrannie : Les concepts comme « liberté », « justice » ou « vérité » sont souvent détachés de toute référence concrète, ce qui les rend vulnérables à la manipulation. Ces mots peuvent être utilisés pour éveiller des émotions puissantes, sans que leur sens soit clairement défini.
  • La relativité du langage : Chase emprunte à Einstein sa théorie de la relativité pour expliquer que les mots, tout comme le temps et l’espace, sont relatifs. Ils changent de sens en fonction du contexte, ce qui les rend dynamiques mais aussi dangereux lorsqu’ils sont interprétés comme statiques.
  • La personnification trompeuse : Dans le discours politique, des termes tels que « classe ouvrière » ou « le peuple » sont souvent présentés comme des entités homogènes, masquant la diversité et la complexité des individus qu’ils décrivent. Cette simplification sert à manipuler les masses.

Toutefois, Chase estime qu’il est possible d’échapper de cette prison du language , la clé réside selon lui dans une approche plus rigoureuse et consciente du langage :

  1. Reconnaitre les limites des mots : Comprendre que les mots ne sont que des symboles et non des réalités en soi.
  2. Préciser le langage : Éviter les abstractions inutiles et utiliser des termes clairs et définis.
  3. Adopter un esprit mathématique : Chase propose de s’inspirer des mathématiques pour structurer notre pensée de manière plus logique et précise.
  4. Résister à la manipulation : Analyser les discours politiques et économiques pour déceler les abus de langage et les stratégies de manipulation.

En comprenant Chase, on se rend compte à quel point « penser » est un act difficile!

L’aporie de la flûte de Sen

Amartya Sen, un économiste indien et lauréat du Nobel d’économie en 1998. Ce dernier a proposé l’exemple de l’aporie de la flûte dans son ouvrage « L’Idée de Justice » paru en 2009.

Pour rappel, une aporie est une difficulté logique insoluble (tandis qu’un paradoxe peut souvent être résolu ou expliqué).

Ainsi, l’aporie de la flûte se présente ainsi :

Trois enfants – Bob, Anne et Carla – se disputent une flûte. Chacun a un argument valable pour la réclamer :

  • 1. Bob est le seul à savoir en jouer.
  • 2. Anne est la plus pauvre et n’a aucun jouet.
  • 3. Carla a fabriqué la flûte de ses propres mains.

Sen utilise cet exemple pour montrer que chaque enfant défend un raisonnement convaincant, et que la décision à prendre n’est pas simple lorsqu’on connaît ces trois arguments concurrents.

En effet, en utilisant cet exemple Sen illustre trois approches principales de la justice :

L’utilitarisme: qui pourrait favoriser Bob, car il tirerait le plus grand plaisir de la flûte.
L’égalitarisme: qui pourrait pencher pour Anne, afin de réduire les inégalités économiques.
Le libertarianisme: qui pourrait soutenir Carla, respectant ainsi le droit de propriété sur le fruit de son travail.

Difficile de trancher !

L’objectif de Sen est de démontrer qu’il n’existe pas de solution unique et universellement acceptée pour résoudre ce type de dilemme.


Il souligne ainsi la pluralité des conceptions de la justice et l’importance du débat public éclairé.
L’impact de cette réflexion est considérable dans le domaine de la philosophie politique et de l’économie du bien-être. Elle invite à :

1. Reconnaître la complexité des questions de justice sociale.
2. Considérer différentes perspectives lors de la prise de décisions politiques et économiques.
3. Favoriser le débat public et la délibération pour aborder les questions de justice.

Dans nos quotidiens, différentes situations (politiques de redistribution, politiques d’éducation..) reflètent la tension entre différentes conceptions de la justice, tout comme l’exemple de la flûte de Sen.


Elles soulignent l’importance d’une approche nuancée et d’un débat ouvert dans la prise de décisions politiques et sociales, mais surtout, que souvent il n’y a pas de « bonne réponse », seulement de « moins mauvaise réponse ».