« Le territoire n’est pas la carte »
Posons nous une question simple : Que se passerait-il si une grande partie de nos pensées, que nous croyons profondes et personnelles, étaient en réalité dictées par un élément extérieur ? Et si ce n’étaient pas notre personnalité, notre héritage et notre volonté, mais les mots qui modèlent nos croyances et nos actions ?
C’est l’idée audacieuse que Stuart Chase développe dans son ouvrage « The Tyranny of Words », publié en 1938.
Dans cet ouvrage, il décrit le langage comme une cage invisible qui emprisonne notre pensée.
Mais… Pourquoi le langage serait une cage ?
Le langage structure notre manière de percevoir le monde, mais selon Chase, il peut également nous manipuler et nous enfermer dans des illusions. L’idée centrale de son argument repose sur le fait que les mots ne sont que des symboles, des étiquettes que nous apposons sur des concepts ou des objets, sans qu’ils ne reflètent pleinement ces concepts et donc fidèlement la réalité.
Inspiré par les travaux du philosophe et scientifique Alfred Korzybski, Chase s’appuie sur la célèbre phrase : « Le territoire n’est pas la carte ». Cela signifie que les mots ne sont pas les choses qu’ils décrivent, mais seulement des représentations imparfaites. En confondant la carte et le territoire, nous risquons de prendre ces symboles pour des réalités absolues, ce qui nous conduit à des malentendus et des manipulations.
Pour appuyer sa thèse, Chase utilise plusieurs exemples et arguments :
- L’abstraction comme tyrannie : Les concepts comme « liberté », « justice » ou « vérité » sont souvent détachés de toute référence concrète, ce qui les rend vulnérables à la manipulation. Ces mots peuvent être utilisés pour éveiller des émotions puissantes, sans que leur sens soit clairement défini.
- La relativité du langage : Chase emprunte à Einstein sa théorie de la relativité pour expliquer que les mots, tout comme le temps et l’espace, sont relatifs. Ils changent de sens en fonction du contexte, ce qui les rend dynamiques mais aussi dangereux lorsqu’ils sont interprétés comme statiques.
- La personnification trompeuse : Dans le discours politique, des termes tels que « classe ouvrière » ou « le peuple » sont souvent présentés comme des entités homogènes, masquant la diversité et la complexité des individus qu’ils décrivent. Cette simplification sert à manipuler les masses.
Toutefois, Chase estime qu’il est possible d’échapper de cette prison du language , la clé réside selon lui dans une approche plus rigoureuse et consciente du langage :
- Reconnaitre les limites des mots : Comprendre que les mots ne sont que des symboles et non des réalités en soi.
- Préciser le langage : Éviter les abstractions inutiles et utiliser des termes clairs et définis.
- Adopter un esprit mathématique : Chase propose de s’inspirer des mathématiques pour structurer notre pensée de manière plus logique et précise.
- Résister à la manipulation : Analyser les discours politiques et économiques pour déceler les abus de langage et les stratégies de manipulation.
En comprenant Chase, on se rend compte à quel point « penser » est un act difficile!